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À présent que la mission canadienne d’élaboration du PNG/S (Plan de National de Géomatique du Sénégal) tire à sa fin, il est légitime de s’interroger sur les lendemains de la géomatique au Sénégal lorsque les Canadiens auront passé le témoin à leurs homologues sénégalais. Qu’adviendra t-il alors de l’éventail d’orientations, de recommandations et de recettes qu’ils ne manqueront pas de consigner dans les épais rapports qu’ils laisseront derrière eux? L’organisation et l’expertise locales seront-elles suffisantes pour relever les défis qui nous attendent? Y a t-il un risque que la mise en œuvre du PNG subisse le même sort que les « Actes du PNG » qui ont croupi pendant 12 ans dans les tiroirs de l’administration?

 

Une chose au moins est sûre: le Sénégal doit prendre en main et maîtriser son destin géomatique. Mais que faire concrètement pour que cette science-technologie novatrice et multifacette prenne son envol tant attendu après le départ (imminent) des Canadiens? C’est précisément en lien avec la clôture très prochaine de l’implication Canadienne dans ce programme que les propositions ci-dessous ont été formulées. Elles visent à promouvoir la géomatique efficacement et à accélérer la cadence de son appropriation dans tous les secteurs d’activités de notre économie.

 

La géomatique, rappelons-le, est un amas de technologies et de données spatiales (c-à-d rattachées à une position géographique) qu’une organisation (Structure-Individus-Culture) gère (décisions) à des fins de création de valeur. Au fond, le déficit structurel en géomatique au Sénégal se rapporte à tout ce quatuor. Cependant, seule la composante « Décisions » sera abordée dans cette contribution (nous reviendrons sur les autres ultérieurement).

 

Et par « décisions » nous entendons ici les mesures que les autorités sénégalaises devraient prendre afin de catalyser l’adoption rapide et durable de la géomatique au Sénégal pendant la mise en oeuvre du PNG. Le décret exécutif qui a lancé les travaux du PNG et institué sa structure de gouvernance est un grand pas dans la direction du SUPPORT institutionnel et de l’encadrement légal et réglementaire à à solidifier au fil du temps, mais ce n’est qu’un petit pas pour l’oeuvre colossale à édifier. Dans un avenir proche, ce SUPPORT devra être renforcé selon 4 axes majeurs :

 

1 – Budgétaire : Il s’agit ici de codifier une « ligne géomatique » permanente dans le budget annuel de l’État. Une priorité nationale telle que celle-ci ne peut et ne doit pas souffrir de l’incertitude et de la précarité liées à l’aide internationale. La géomatisation du pays est un investissement stratégique qui aura des effets multiplicateurs certains. Elle requiert donc, bon an mal an, l’injection d’un minimum de capitaux propres. En effet, la prise en charge de ce processus par les finances publiques est un impératif qui, s’il est honoré, alignerait le Sénégal sur des pratiques exemplaires recensées ailleurs dans le monde.

 

2 – Incitatif : On verrait ici à ordonner par décret présidentiel que, dans la réalisation de leurs mandats, les ministères, agences nationales, collectivités locales et autres organisations opérant dans le pays priorisent l’information géographique. Les activités de gouvernance et de développement économique étant intrinsèquement liées à l’espace, elles bénéficieront forcément de l’approche géographique dans leur exécution.

Les appels d’offres publics doivent pour leur part conditionner toute adjudication de projet à l’engagement du soumissionnaire à utiliser l’information géographique dans ses prestations de services. Cela a pour corollaire que l’accès aux données spatiales de bases ou prioritaires – telles que la topographie, les limites administratives, les routes, et le réseau hydrographique – soit au moins partiellement libre. Les prestataires pourraient ainsi produire des données opérationnelles qu’il faudrait les inciter à partager, moyennant par exemple un allègement fiscal.

 

La géomatique est par ailleurs presque incontournable dans la réalisation d’études d’impact, grâce à sa capacité singulière à intégrer des données multisources, à les analyser sous tous les angles et à générer des scénarios à partir d’une foule de critères. À ce titre, le nouveau Code sénégalais de l’Environnement pourrait devenir un champ propice à l’intégration systématique de la géomatique dans les études environnementales. Le portefeuille de projets de l’APIX et la politique de territorialisation de l’offre de services publics se présentent aussi comme des plateformes opportunes à l’épanouissement des technologies géospatiales. Cette façon de stimuler le développement de la géomatique devrait d’ailleurs bien cadrer avec une orientation économique expansionniste qu’un pays comme le Sénégal, avec son taux de chômage très élevé et ses ambitions d’émergence, serait avisé d’embrasser.

 

À moyen terme, ces mesures budgétaires et incitatives auront des effets multiplicateurs et stimuleront une demande soutenue de géomaticiens ainsi qu’une offre élargie de formation par le milieu académique. Ce qui devrait favoriser l’émergence d’un marché local du géo-talent plus diversifié et plus structuré.

 

3 – Réglementaire : Nous proposons, à ce chapitre, d’intimer à tous les producteurs et autres détenteurs de l’information géographique publique de se conformer à une politique d’ouverture, de collaboration et de partage, afin de briser cette propension bien sénégalaise à être protectionniste avec les données, voire à les dissimuler. En clair, il ne servirait à rien d’investir dans des processus de partage de ressources (outils, matériels, données, procédures et informations) tels que l’exige le concept d’infrastructure de données spatiales, sans renoncer au préalable à des pratiques sénégalaises surannées que sont la dissimulation d’informations et une possessivité presque maladive avec les données. En effet, quiconque s’est livré à un exercice de collecte de données au Sénégal, même pour de simples besoins académiques, peut témoigner de sa douloureuse expérience en la matière.

 

4 – Communicationnel : À cet égard, il conviendrait de sensibiliser les décideurs dans les ministères, agences, directions, entreprises publiques et collectivités locales ainsi que dans le secteur privé, le milieu académique et le grand public, à l’utilité de la géomatique (l’information géospatiale est perçue maintenant comme étant le 4e moteur dans le processus de prise de décisions en complément aux moteurs traditionnels que sont le social, l’économique et l’environnemental)[1]. Ce n’est donc pas en dispensant quelques séminaires et autres ateliers de formations dispendieuses à des gestionnaires sélectionnés avec soin, ou en lançant quelques projets démonstratifs destinés à 3 ou 4 structures, qu’on y parviendra. Lorsqu’une priorité est nationale, elle mérite qu’on en parle au sommet. Le président et/ou le PM devraient s’y intéresser et communiquer sur le sujet. S’ils l’évoquent à chaque fois qu’ils en ont l’opportunité, les ministres prendront note, les DG d’entreprises publiques le marqueront dans leurs agendas, toute l’administration publique emboitera le pas, les acteurs privés et le milieu académique rebondiront et le public se ralliera. Le cas échéant, les media et autres faiseurs d’oppinions s’en saisiront, l’amplifieront et le répercuteront auprès du public. Cela aura l’effet d’un marketing de masse. C’est faisable, redoutablement efficace et  ne coûtera rien au contribuable sénégalais. Al Gore a fait pareillement avec ses « Autoroutes de l’Information » lorsqu’il était au pouvoir.

 

Notre président est un ingénieur qui a déjà dirigé une division de banques de données. Le thème lui vient donc naturellement et il pourrait bien en être le premier inspirateur dans sa propre administration. Qui plus est, ce serait une opportunité de sensibiliser nos parlementaires à ce « secteur » prioritaire pour éventuellement les inciter à se rapprocher des spécialistes du domaine afin de parrainer des lois renforçant le support institutionnel, lequel doit évoluer au fil du temps.

 


[1] Rajabifard, A. & Coleman D., Spatially Enabling Government, Industry and Citizens: Research and Development Perspectives. GSDI Association Press.

Paru également dans Sud Quotidien: http://www.sudonline.sn/index.php/politique/item/geomatisation-du-senegal—pour-accelerer-la-cadence_a_18189.html