La mission canadienne d’élaboration du Plan National de Géomatique (PNG) s’achève bientôt. Quels seront les lendemains de la géomatique au Sénégal lorsque les Canadiens auront passé le témoin aux Sénégalais? Qu’adviendra t-il des orientations, recommandations, recettes et autres boites à outils qu’ils vont nous léguer? Nos infrastructures organisationnelles – structures, compétences, « géo-culture » –, technologiques et administratives sont elles suffisamment matures pour relever les défis qui nous attendent?
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : notre pays doit prendre en main et maîtriser son « destin géospatial ». Sous ce rapport, le décret exécutif qui a institué la structure de gouvernance du PNG (GICC) est un grand bond en avant, mais ce n’est en réalité qu’un petit pas institutionnel en direction de l’œuvre géospatial à bâtir au Sénégal. En effet, au-delà d’un déficit « géo-structurel » avéré – données incomplètes de faible résolution et pas à jour, cadre organisationnel peu adéquat, compétences géospatiales rares, culture de rétention des données et de dissimulation de l’information –, le support institutionnel est encore trop timide pour impulser une véritable géo-révolution. Dès lors, que devrait-on faire au plan institutionnel justement, pour accélérer la cadence de l’appropriation de l’information géospatiale et son éventail de technologies novatrices et multifacettes après le départ –imminent – des Canadiens? C’est pour répondre à cette interrogation que les propositions suivantes ont été formulées. Le but ici est simplement de suggérer quatre pistes pour promouvoir la valorisation de l’information géospatiale et des technologies de localisation au Sénégal :
1 – Budgétaire
Il faudra codifier une “ligne géomatique” permanente dans le budget national. En effet, l’information géospatiale étant un levier de bonne gouvernance économique-sociale-environnementale – vision systémique et utilisation efficiente des ressources, suivi des dépenses et réduction des coûts opérationnels, standardisation des processus et élimination de la redondance, collaboration interne et gestion participative, amélioration de la communication organisationnelle et aide à la prise de décisions, transparence et reddition des comptes, et élimination du gaspillage –, son financement ne doit point souffrir de l’incertitude et la précarité liées à l’aide internationale.
De fait, la géomatisation du pays est un investissement stratégique à effet multiplicateur certain. Elle requiert donc, bon an mal an, d’injecter un minimum de capitaux propres. La prise en charge de ce processus par les finances publiques est un impératif qui alignerait le Sénégal sur des pratiques exemplaires recensées ailleurs dans le monde.
2 – Incitative
On verrait ici à ordonner par décret que, dans la réalisation de leurs mandats, les ministères, agences nationales, collectivités locales et autres organisations opérant dans le pays, priorisent l’information géospatiale. Les activités de gouvernance et de développement économique-social-environnemental étant intrinsèquement liées à l’espace, elles bénéficieront forcément de « l’approche géographique » dans leur planification, mise en œuvre et suivi-évaluation.
Les appels d’offres publics devraient, pour leur part, conditionner toute adjudication de projets à l’engagement des soumissionnaires à utiliser l’information géospatiale dans leurs prestations de services. Cela exige que l’accès aux données géospatiales prioritaires – ex. topographie, entités administratives, routes et hydrographie – soit libre. En réalisant des projets, les adjudicataires pourraient eux aussi produire des données opérationnelles qu’il faudra les encourager à partager, moyennant un régime incitatif quelconque…
En outre, les systèmes d’information géospatiale sont presque incontournables dans l’évaluation des impacts environnementaux de projets. De ce fait, le nouveau Code sénégalais de l’Environnement est un terrain propice à la promotion des technologies de l’information géospatiale, tout comme le portefeuille de projets du PSE et la politique de territorialisation de l’offre de services publics sont aussi des plateformes opportunes à la valorisation de la géo-information dont l’apport est essentiel dans la planification, le design, l’implantation et le suivi de projets tous azimuts.
En somme, si appliquées, les prescriptions budgétaires et incitatives sus-évoquées auront des effets multiplicateurs qui stimuleront une demande soutenue de géo-professionnel(les) à laquelle notre milieu académique réagira naturellement en élargissant son offre d’enseignement et de formation. Ce qui, à moyen terme, favorisera l’avènement d’une géo-expertise solide, structurée et diversifiée.
3 – Réglementaire
Nous proposons, à ce chapitre, d’intimer à tous les producteurs et autres détenteurs de données géospatiales publiques de se conformer à une politique d’ouverture, de collaboration et de partage, afin de saper les fondements de cette « culture sénégalaise » de rétention/dissimulation de l’information. Car, il est futile d’investir dans une infrastructure coûteuse (données géospatiales) qui, par essence, requière la mutualisation et le partage de données-informations-procédures-outils, sans au préalable renoncer à ces pratiques surannées et contre-productives.
4 – Communicationnelle
À cet égard, il conviendrait surtout de sensibiliser les pouvoirs publics –et subsidiairement le secteur privé et le milieu académique – à l’importance de l’information géospatiale et ses technologies. Ce n’est pas en dispensant quelques séminaires et autres ateliers de formation/sensibilisation dispendieux à une clique de gestionnaires/technologues triés sur le volet ou en lançant une poignée d’applications démonstratives élaborées à l’étranger et destinées à 2 ou 3 structures nationales qu’on y parviendra. Non, l’information géospatiale est un puissant levier de développement, et à ce titre elle mérite une attention singulière de nos hautes autorités. Le Président et/ou le PM devraient communiquer de façon stratégique sur le sujet. S’ils le font, les décideurs des pouvoirs publics et les acteurs privés vont prendre note et le milieu académique en fera echo dans ses curriculas. Les médias et autres faiseurs d’opinions vont y rebondir, l’amplifier et le répercuter auprès du public. Ce qui résultera sur un marketing de masse qui est faisable, redoutablement efficace et qui ne coûtera rien au contribuable sénégalais. L’ancien Vice-président américain Al Gore avait agi un peu de la sorte pour populariser ses “Autoroutes de l’Information”.
Enfin, le Président est un ingénieur GÉO-logue qui a été à la tête d’une division de banques de données et son chef de gouvernement est un illustre infor-MATIC-ien. Le thème de la « GÉO-MATIQ-ue » leur vient donc naturellement et ils pourraient en être les premiers inspirateurs dans leur administration. Ce serait aussi une opportunité de géo-évangiliser nos parlementaires sur l’importance du Géospatial, histoire de les inciter à se rapprocher des géo-experts pour parrainer des lois renforçant le cadre institutionnel qui doit évoluer.